OBSERVATIONS SUR L’AVENIR DE LA

LOI SUR LES CRIS ET LES NASKAPIS DU QUÉBEC

 

 

 

Document de discussion seulement

 

22 avril 2017

 

 

 

 

 

 

Commission Crie-Naskapie

Richard Saunders, Président

Robert Kanatewat, Commissaire

Philip Awashish, Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

Pour les Eeyous/Eenous d’Eeyou Istchee, dans leur histoire et les relations eeyoues/eenoues, il n’y a rien de plus fondamental que le principe du droit d’un peuple de se gouverner et de gouverner ses territoires conformément à ses traditions, valeurs, buts et aspirations.

Les Eenous/Eeyous d’Eeyou Istchee peuvent retracer leur droit à leur autonomie gouvernementale aussi loin que la mémoire et l’histoire orale peuvent s’en souvenir. Le droit est inhérent chez les peuples eeyous/eenous et leurs nations et a été exercé pendant des siècles avant l’arrivée des explorateurs et colonisateurs européens.

Donc, les Eenous/Eeyous d’Eeyou Istchee ont négocié la reconnaissance et la protection de leurs droits, et notamment de leur droit à l’autonomie gouvernementale dans un traité des jours modernes connu sous le nom de  Convention de la Baie James et du Nord québécois. La continuité de leurs droits qui sont plus vieux que le Canada et le Québec constitue une partie majeure et fondamentale de l’entente entre les Eeyous/Eenous d’Eeyou Istchee, le Canada et le Québec dans le cadre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Plus particulièrement, la reconnaissance mutuelle des peuples qui cohabitent et qui sont autonomes est fondamentale pour toutes les relations continuelles avec le Canada et le Québec.

À l’heure actuelle, des discussions et consultations se poursuivent partout dans les communautés cries d’Eeyou Istchee au sujet de nouveaux arrangements relatifs à la gouvernance qui ont été négociés entre le Canada et le gouvernement de la Nation crie/Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee). Plusieurs nouveaux pouvoirs et responsabilités gouvernementaux ou des pouvoirs ou responsabilités accrus sont à l’étude. L’Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Canada et les Cris prévoyait ce processus. Cette entente elle-même constituait un règlement à l’amiable des différends sur la mise en œuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Les arrangements actuels en matière de gouvernance sont basés sur trois sources importantes, c’est-à-dire les droits inhérents à l’autonomie gouvernementale de la Nation crie, les dispositions de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et ses conventions complémentaires et les modalités négociées de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec.

Au cours des trente dernières années, l’expérience de la Commission Crie-Naskapie s’est naturellement concentrée sur un certain nombre de questions pratiques soulevées par le mandat de la Commission tel qu’il est présenté dans les articles 157 à 172 de la Loi. En se basant sur cette expérience, la Commission est d’avis que ses commentaires sur un certain nombre d’enjeux pourraient être utiles dans le cadre de la discussion globale sur la gouvernance. Les principaux enjeux sont présentés ci-dessous.

 

Nécessité de la protection de l’article 35 pour la législation sur l’autonomie gouvernementale

L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 stipule ce qui suit :

« 35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

 (2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

 (3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.  »

Au cours des dernières années, le gouvernement a de plus en plus tenté d’obtenir l’accord des Premières Nations pour ne pas tenir compte de la protection de l’article 35 dans leurs lois et ententes touchant l’autonomie gouvernementale. Si l’histoire des relations passées entre le Canada et les Premières Nations est garante de l’avenir, il est crucial que toutes les dispositions importantes des arrangements et/ou des lois assurent que les droits soient entièrement protégés en englobant explicitement le sens de l’article 35. Dans plusieurs situations, les négociateurs du Canada ont tenté de retirer les droits existants conférés en vertu des traités pour les soustraire du traité actuel et les inclure dans des ententes et lois ne contenant pas les clauses de protection. Le Canada a tenté de mettre en œuvre la Convention de la Baie James et du Nord québécois à l’aide de la seule application des politiques et programmes fédéraux réguliers. Bien sûr, la Commission recommande que toute législation et/ou entente ou autre, relative à l’autonomie gouvernementale soit protégée par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.  La méthode la plus simple et la plus efficace d’assurer cette protection est peut-être d’inclure toutes les dispositions clés dans les modifications à la Convention de la Baie James et du Nord québécois, qui est déjà un traité garanti par la Constitution.

 

Le caractère désirable de la primauté pour la législation sur la gouvernance crie

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec actuelle comprend une disposition qui lui confère la primauté sur des lois fédérales ou provinciales contradictoires. Les articles précis stipulent ce qui suit :

« 3. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les dispositions de la présente loi l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi fédérale.

(2) Les dispositions de la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois l’emportent sur les dispositions incompatibles de la présente loi.

4. Les lois provinciales d’application générale ne s’appliquent pas en cas d’incompatibilité avec la présente loi ou les règlements ou règlements administratifs pris sous son régime, ni dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi. » (accent ajouté)

Ce genre de dispositions garantit que les modalités de la Loi qui ont fait l’objet de négociations entre les Cris et le gouvernement du Canada ne peuvent pas simplement être modifiées ou éliminées, que ce soit de façon intentionnelle ou même non intentionnelle en raison d’autres lois fédérales ou provinciales. Le maintien de ces dispositions dans toute nouvelle loi ou loi révisée concernant la gouvernance, ou loi reconnaissant une Constitution crie, est, selon la Commission, nécessaire et même vital à la sécurité à long terme des arrangements relatifs à l’autonomie gouvernementale. Ce genre de dispositions sert à conserver l’intention similaire voulant que les traités ne puissent pas et ne soient pas amendés unilatéralement.  

 

Mise en oeuvre de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec ou d’une loi sur la gouvernance

En général, comme dans le cas de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, le processus de mise en œuvre est le suivant : le Parlement adopte une loi, l’administration et la mise en œuvre de cette loi est confiée au ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien. Au mieux, quelques questions d’organisation se posent, comme celles relatives au Bureau de mise en œuvre de la Baie James. Tout au long de ce modèle traditionnel de mise en œuvre, on refuse que les peuples cris et naskapis jouent un rôle significatif dans le processus décisionnel même s’ils sont les plus touchés par l’application, l’administration et la mise en œuvre  de la  Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Le style de mise en œuvre conventionnel est fréquemment insensible aux besoins et aspirations réels des peuples cris et naskapis et ont entraîné une mise en œuvre symbolique qui n’entraîne aucun changement réel de la façon dont les décisions sont prises et de la façon dont les choses sont faites.

La mise en œuvre adéquate et réussie de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec ou de toute autre législation concernant la gouvernance crie fait partie intégrante du processus politique dans le cadre duquel les fonctions et responsabilités du fédéral, des administrations locales cries ainsi que du gouvernement de la Nation crie, devraient être clarifiées et convenues par les parties.

Dans la présentation d’un document de discussion au Comité permanent du Sénat sur les peuples autochtones en date du 1er mars 1999 et intitulé « Proposal for an Aboriginal Treaty Implementation Act » (disponible en anglais), la Commission Crie-Naskapie a présenté les suggestions suivantes pour régler les différends soulevés par la mise en œuvre des traités (traduction libre) :

La Commission juge que ces suggestions sont pertinentes par rapport aux présents enjeux liés à la mise en œuvre des traités.

 

Exigence de présenter des rapports au Parlement

Entre 1986 et 2016, conformément au paragraphe 165. (1) (a) de la Loi, la Commission a soumis quinze rapports bisannuels sur la mise en œuvre et les questions connexes au ministre qui était ensuite tenu de le déposer à la Chambre des communes et au Sénat.  Ensuite, conformément à leurs Règlements, les deux chambres ont renvoyé les rapports aux comités permanents pertinents. Les commissaires ont subséquemment fait des présentations aux comités pour souligner les enjeux soulevés par les communautés cries auprès de la Commission.

Cette procédure donne la possibilité aux Cris et aux Naskapis de porter une version publique et officielle « enregistrée » de la mise en œuvre et des questions connexes à l’attention non seulement du ministre, mais aussi des députés et des sénateurs dans leur ensemble. Étant donné que la procédure est exigée par la Loi, personne ne peut l’ignorer. Les enjeux soulevés par les communautés sont présentés officiellement, que le gouvernement soit d’accord ou non. Les personnes qui possèdent des pouvoirs décisionnels sont au courant des préoccupations et leur sensibilisation relève du domaine public. La Commission croit que cette disposition exigée par la Loi est nécessaire et utile et qu’elle devrait faire partie intégrante de nouvelle législation en matière de gouvernance.

Ce processus de reddition des comptes s’est avéré utile pour la mise en œuvre adéquate de la loi fédérale spécifique.  

 

Exigence de produire les rapports dans les langues cries et naskapies

Une autre disposition de la présente Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec est l’exigence voulant que les rapports déposés au Parlement soient rédigés en cri et en naskapi en plus d’en français et d’en anglais. Selon ce que nous pouvons déterminer à ce jour, cette exigence est le seul exemple d’une loi fédérale qui exige qu’un rapport déposé au Parlement soit préparé dans une langue autochtone. Selon certaines personnes, cette exigence pourrait être perçue comme ayant seulement une importance pratique limitée. La Commission croit toutefois que cette exigence démontre un respect officiel de la langue crie et qu’il s’agit d’une première étape législative en direction de la reconnaissance de l’importance de la survie de la langue et de la viabilité pour les générations à venir. À certains égards, cette disposition pourrait établir un précédent au moment où le gouvernement se penche sur une nouvelle loi sur les langues autochtones promise par le premier ministre. La Commission pense que toute loi à venir en matière de gouvernance devrait contenir la même base juridique ou même une base juridique plus rigoureuse pour l’utilisation de la langue crie.

 

Nécessité d’obtenir la reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale par voie législative

Pendant plus de vingt ans, les gouvernements fédéraux de toutes affiliations politiques ont, comme politique, reconnu le « droit inhérent » des Premières nations et des autres peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale. Parmi autres choses, cette reconnaissance correspond au pouvoir fondamental des Cris et des autres à s’autogouverner qui existe depuis des temps immémoriaux et qui n’a jamais été abandonné. Toutefois, le gouvernement fédéral a reconnu ce pouvoir seulement comme politique et non comme conséquence de la législation. Les politiques n’ont pas force de loi et peuvent être changées unilatéralement et il est temps qu’une législation relative à l’autonomie gouvernementale englobe la reconnaissance officielle de ce droit.

Deux articles de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones précisent l’engagement à l’égard de ce principe.

Article 3

« Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »

Article 4

« Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes. »

Le 8 décembre 2015, le premier ministre Justin Trudeau a prononcé une allocution à l’Assemblée extraordinaire des Chefs de l’Assemblée des Premières Nations à Gatineau :

« ... nous mettrons intégralement en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation, en commençant par donner suite à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. »

Au cours de la même Assemblée extraordinaire l’année suivante, le 12 décembre 2016, le premier ministre a réaffirmé la même déclaration en disant :

« En mai, la ministre Bennett s’est rendue aux Nations Unies pour présenter clairement le soutien sans réserve de notre gouvernement à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous demeurons engagés à son adoption et mise en œuvre en partenariat entier et en consultation avec les peuples autochtones. »

Tout ceci suggère que le gouvernement actuel n’aurait pas de difficulté à inclure la reconnaissance du droit inhérent de la Nation crie à l’autonomie gouvernementale dans toute loi relative à la gouvernance ou toute modification à la loi concernant la gouvernance. La Commission croit que changer la politique fédérale actuelle en un droit reconnu par la législation serait très valable à la lumière de l’habitude de longue date des gouvernements de changer unilatéralement les politiques et les promesses.

 

Mandat législatif

Au moment où la Nation crie d’Eeyou Istchee se prépare à exercer complètement son droit inhérent à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale, il est essentiel que le gouvernement de la Nation crie exerce la pleine compétence à l’égard de toutes ses fonctions internes de gouvernance et des dossiers fondamentaux en ce qui a trait au bien-être collectif et à l’intégrité et à la continuité culturelle eeyoue/eenoue comme la langue et la culture à l’intérieur de son territoire. Il est nécessaire d’envisager certaines questions qui n’ont pas encore été posées. Par exemple, est-ce que le gouvernement de la Nation crie a le pouvoir d’adopter des règlements administratifs concernant l’éducation crie ou est-ce que ce pouvoir doit être au-delà de la compétence législative du gouvernement de la Nation crie? Certains représentants du gouvernement ont souligné que les municipalités n’ont pas de contrôle sur l’éducation qui est confiée aux commissions scolaires. Ce n’est pas logique. Les provinces ont le pouvoir de contrôler les commissions scolaires et peuvent diriger leur politique, renverser leurs décisions et les dissoudre complètement si elles le désirent. La Nation crie n’est pas une municipalité et ne devrait pas être confrontée aux limites imposées aux municipalités.

Avoir la compétence législative ou le pouvoir législatif en matière d’éducation ne veut pas dire que le fonctionnement quotidien des écoles ne pourrait pas être délégué à la Commission scolaire crie. Par contre, ce que cela veut dire est que le gouvernement de la Nation crie pourrait adopter des règlements administratifs sur toutes les affaires internes cries à l’intérieur du territoire cri. Les mêmes arguments s’appliquent dans le domaine de la santé et des services sociaux. En fait, le principe à envisager est que tous les organes de gouvernance crie et de prestation de services publics partout dans le territoire cri seraient assujettis à la compétence législative globale du gouvernement de la Nation crie.

Les Eeyous/Eenous ont une vision holistique du monde et une approche holistique de la vie. Pour eux, la gouvernance ne devrait pas être segmentée de la façon dont elle l’est à l’heure actuelle.  

 

Gouvernance future des terres et des ressources

Si la Nation crie veut se libérer de sa dépendance à un financement fédéral discrétionnaire, elle doit recevoir sa part équitable des avantages des terres et des ressources sur lesquelles elle s’est fiée pendant des milliers d’années. En partie, ceci pourra être réalisé si son contrôle sur les terres de la catégorie II et ses ressources est maximisé. De plus, son accès aux terres et aux avantages tirés des terres de la catégorie III et de ses ressources doit aussi être maximisé. Les meilleurs arrangements qui peuvent être négociés doivent contenir la protection constitutionnelle de l’article 35 de façon à pouvoir répondre aux besoins des générations à venir d’une population en croissance.  

 

Règlement des différends dans le contexte de l’autonomie gouvernementale

À l’heure actuelle, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec prévoit l’établissement de la Commission Crie-Naskapie ainsi que son rôle, ses pouvoirs et ses fonctions. La première tâche importante de la Commission est de préparer un rapport sur la mise en œuvre de la Loi et les questions connexes dans le but de le déposer au Parlement aux deux ans. La deuxième tâche importante, précisée dans l’article 165, est d’enquêter sur les « réclamations », c.-à-d., les plaintes de toute personne au sujet de la mise en œuvre de la Loi, y compris « l’exercice ou le défaut d’exercice de pouvoirs ou fonctions conférés sous le régime de cette loi ».

Depuis 1986, lorsque la Commission a commencé ses opérations, il y a eu une grande variété de différends présentés à la Commission sous forme de réclamations en vertu de l’article 165. Certains différends sont entre un gouvernement cri et le Canada, de nombreux différends sont entre les membres et l’administration de leur bande ou leur chef et conseil. Une réclamation a même été présentée par le Canada.  (Elle a subséquemment été retirée.)  Après une enquête, la Commission peut présenter ses constatations et fournir des recommandations plutôt que de prendre des décisions contraignantes. En général, cette méthode s’est avérée satisfaisante en ce sens que les recommandations présentées ont presque toujours été acceptées par les parties. Dans les cas où l’objectif principal est de résoudre un problème tout en évitant des discordes non nécessaires au sein de la communauté, des dépenses et des litiges juridiques, le système actuel fonctionne bien. Il pourrait être utile de continuer cette approche.

Même si le système actuel utilisé par la Commission est efficace pour la grande majorité des différends internes, il n’aborde pas la nécessité d’utiliser une procédure interne basée sur les Cris pour régler les différends pour lesquels un plaignant ou les deux parties ne sont pas disposés à régler sur la base des recommandations, mais préféreraient une décision juridique contraignante et exécutoire. Un exemple de ce genre de situation a été un différend entre une bande crie et une entité crie autonome dans une vaste zone. L’autonomie gouvernementale réelle exige que pratiquement tous les différends internes soient réglés à l’interne en tenant compte des lois et des pratiques de la Nation crie. Dans la situation actuelle, si les parties en cause veulent seulement une décision contraignante et exécutoire, un différend peut seulement être réglé par des chargés de pouvoir à l’extérieur de la communauté. En général, ceci veut dire le système judiciaire canadien. Ces tribunaux prennent des décisions basées surtout sur les textes de loi en vigueur, le common law anglais et le droit civil du Québec. Dans la plupart des cas, ce système donne des résultats justes et équitables. Dans les cas impliquant des différends internes toutefois, il faut un processus qui doit tenir compte des lois cries, des valeurs communautaires cries et de l’approche crie au règlement des différends. Plus précisément, régler un différend interne en le renvoyant à un tribunal à Montréal ou ailleurs ne correspond pas à une vraie autonomie gouvernementale.

Ce qu’il faut, c’est un organisme juridictionnel interne possédant des pouvoirs décisionnels et exécutoires. Il serait essentiel que cet organisme conserve un équilibre entre l’indépendance et l’imputabilité. Pour être et paraître objectif, cet organisme ne pourrait pas être soumis au contrôle direct du gouvernement de la Nation crie. Souvent, un gouvernement local ou le gouvernement de la Nation crie serait une des parties au différend. Si l’organisme de règlement des différends devait répondre à un gouvernement ou à plusieurs gouvernements, ses décisions seraient perçues comme partiales contre la partie plaignante ou comme défis pour l’autorité gouvernementale. Ces différentes perceptions rendraient donc l’organisme de règlement des différends dysfonctionnel.    

En ce qui a trait à l’imputabilité, chaque entité crie doit être imputable envers la Nation crie, si elle n’est pas directement imputable envers le gouvernement de la Nation crie. L’imputabilité ne serait pas pour les décisions, mais bien pour la gestion financière et l’adhérence à des normes préalablement établies pour effectuer les fonctions et exercer les pouvoirs. Il serait possible d’envisager différents modèles d’imputabilité. Par exemple, peut-être que les deux tiers ou les trois quarts des membres du conseil/de la commission, soit une majorité spéciale,  devrait être nécessaire pour nommer des arbitres et que les deux tiers ou les trois quarts des participants à une assemblée générale annuelle, soit une majorité spéciale, devrait être nécessaire pour retirer un arbitre ou plusieurs arbitres.

 

La nécessité de « créer un terrain équitable » pour les individus

Toutes les personnes qui font appel à un processus de règlement des différends doivent avoir une chance sensiblement égale de présenter leur cas. Par exemple, les ressources à la disposition d’un individu sont d’habitude très limitées alors que les ressources à la disposition d’un organisme dirigeant sont souvent imposantes. Il est nécessaire de trouver une méthode pour « créer un terrain équitable ». Dans plusieurs situations, les parties n’ont pas besoin de conseils juridiques. Lorsque c’est le cas, toutes les parties devraient être encouragées à renoncer à leur droit à des conseils juridiques. Dans l’expérience de la Commission, en général, toutes les parties se sont prononcées pour elles-mêmes sans utiliser les services d’avocats. Dans deux cas seulement, une bande a emmené ses conseillers juridiques pour prendre part à un différend. Cette volonté de renoncer à une représentation juridique sera toutefois moins fréquente lorsque des décisions exécutoires seront prises.  

Lorsqu’une des parties décidera d’exercer son droit à des conseils juridiques, il sera nécessaire d’assurer que l’autre partie aura une aide semblable. Il serait possible d’envisager le type de « défenseur public » comme modèle. Dans certaines situations dans le cadre desquelles par exemple, la Constitution ou la Convention de la Baie James et du Nord québécois sont soulevées, un programme de « financement de cause type » pourrait être utilisé.

Peu importe le système retenu en fin de compte, il devrait être conçu, compris et approuvé par les peuples cris et non choisi et imposé par un gouvernement extérieur.

 

Appels d’un organisme juridictionnel interne

Dans certains cas, une partie pourrait vouloir en appeler d’une décision d’un organisme juridictionnel cri auprès des tribunaux. C’est probablement un droit conféré par la Constitution. La seule façon dont une telle éventualité ne compromettra pas l’autonomie gouvernementale est si l’appel est présenté à un tribunal spécialisé qui englobera des juges des Premières Nations et des règles et procédures des Premières Nations qui faciliteront le respect total du droit cri. Il y a quelques années, la Commission Crie-Naskapie a publié un document de discussion qui suggérait qu’une Division des Premières Nations soit ajoutée à la Cour fédérale du Canada. Ceci ne serait pas faisable seulement pour la Nation crie. Toutefois, si les Premières Nations à travers le Canada étaient intéressées à cette approche, il serait très valable de l’envisager. Il serait important que ce processus d’appel ou le processus actuel soit utilisé pour assurer que la législation appuierait l’organisme juridictionnel local. La loi habilitante pourrait exiger que les cas soient tout d’abord entendus par l’organisme cri et que les appels puissent être faits seulement lorsqu’un sérieux point de droit est en question.

 

Quorums

Dans les presque trente années au cours desquelles la Commission a entendu les membres et les leaders communautaires souligner à répétition le problème de l’exigence stipulée dans la Loi actuelle au sujet des pourcentages élevés irréalistes de participants aux votes et des niveaux d’approbation. Si une loi nouvelle ou modifiée est à l’étude, il serait important d’aborder cette question.

 

Examen du chapitre 9 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec est la loi spéciale envisagée dans le chapitre 9 (Administration locale sur les terres de la catégorie IA) de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Depuis la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois en 1975, le chapitre 9 n’a jamais été révisé ni modifié pour refléter la nature et l’état actuels de l’administration locale crie et du gouvernement de la Nation crie. Le chapitre 9 doit être révisé ou amendé pour refléter les réalités actuelles du droit autochtone et l’état de l’administration locale crie et du gouvernement de la Nation crie.  

 

Conclusion

Le peuple cri et ses gouvernements détermineront la méthode utilisée pour assurer leur gouvernance. L’affirmation de leur droit inhérent à l’autodétermination découlant de leur statut à titre de peuple distinct autorise les Eeyous à déterminer leur propre futur à l’intérieur du gouvernement et à s’autogouverner en fonction d’institutions qu’ils choisissent et conçoivent eux-mêmes. Différents points de vue seront évalués dans le cadre de ce processus. C’est avec respect que la Commission Crie-Naskapie présente ses commentaires comme partie intégrante de ces points de vue, aux fins de considération. À cet égard, la gouvernance crie n’est pas une réalité qui va se produire dans le futur. C’est quelque chose qui est arrivé, qui arrive et qui continuera d’arriver conformément aux droits et aux aspirations des Cris.